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  • Style, styles

    2024-03-29

    Pour son numéro 16.2, à paraître en juin 2025, la revue en ligne L’Atelier lance un appel à contributions sur le thème « Style, styles ». Ce numéro sera coordonné par Laurent Folliot, que la revue accueille comme rédacteur invité, et par Juliana Lopoukhine. 

    Le « style » est l’une de ces notions dont l’évidence va en s’amenuisant à mesure qu’on l’examine de plus près. C’est ainsi que, historiquement, la définition archi-célèbre qu’en donnait Buffon en 1753 (« l’homme même ») procède encore d’une anthropologie classique faisant de l’expression langagière l’excellence distinctive de l’espèce humaine, en même temps qu’elle annonce une conception romantique du style comme forme entre toutes de l’originalité individuelle. De fait, le style peut être « style classique » – c’est-à-dire, à la limite, refus du style comme manifestation d’une idiosyncrasie, résorption de la singularité scripturale dans cette perfection impersonnelle de la langue que Barthes appelait « grande écriture traditionnelle » – aussi bien que maniérisme, écart ostensible vis-à-vis de la forme, par quoi l’écrivain affirme son caractère propre, sa « marque de fabrique » selon Laurent Jenny. Plus près de nous, le structuralisme et ses retombées ont vu le style occuper une place fluctuante dans la pensée de la littérature : catégorie caduque, leurre idéologique figeant les énergies du texte, repoussoir de l’écriture-productivité chez Barthes et chez Foucault, il est pourtant réhabilité par Deleuze qui, dans son Abécédaire, en fait un terme-clef pour comprendre l’opération propre de la création artistique aussi bien que de la pensée philosophique. Le style, à ce compte, n’est plus tant ce qui constitue l’individualité de l’auteur que cette puissance qui vient la déborder, l’entraîner dans un devenir imprévisible ; il n’est plus le gage d’une maîtrise, mais la manifestation d’un excès. Et chez Barthes même, il arrive que le style serve les fins de la désaffiliation, soit envisagé, paradoxalement, comme un « style de l’absence qui est presque une absence idéale de style ».  

    C’est cette tension récurrente, qui de multiples manières travaille la notion même de style, que ce numéro de L’Atelier voudrait mettre au centre de la réflexion, dans la continuité des travaux plus récents menés notamment sous la direction de Laurent Jenny (Le Style en acte. Vers une pragmatique du style, Métis Presse, 2011) et par la Société de Stylistique Anglaise (dans un numéro spécial d’Études de stylistique anglaise intitulé Penser le style et la stylistique, 2018), par Jean-Jacques Lecercle (Système et style : une linguistique alternative, Amsterdam, 2023) et, dans un champ élargi, par Marielle Macé (Styles. Critique de nos formes de vie, Gallimard, 2016). Pour ébaucher quelques pistes, on pourra se demander, entre autres, quels rapports le style entretient d’une part avec l’éthos – l’éthique mais aussi l’allure – d’un texte et de son auteur tel que celui-ci s’y présente au lecteur (la figure qu’il y fait et qu’il s’y donne, par exemple chez l’essayiste, de Montaigne et Bacon à nos jours en passant par De Quincey, Woolf et tant d’autres) ; de l’autre avec les déterminations les plus concrètes du poiein, du faire poétique comme façonnement et comme ouvrage, comme manière et comme tour (on songe ainsi au narrateur-artisan tel que l’a conceptualisé Benjamin, mais aussi au style comme travail d’orfèvre, de Flaubert à Barthes là encore, et au-delà comme lieu privilégié du travail de l’inconscient). On pourra également s’interroger, à partir de l’intersection mise en évidence par Jean-Jacques Lecercle des valences individuelle et collective du style, sur les implications historiques du style : dans quelle mesure est-il affaire de nouveauté, d’originalité, de modernité ? Qu’est-ce qu’un style antique, surtout lorsque il est (anti)moderne, comme chez certains grands romantiques ou assimilés (Thomas Gray, Leopardi, Hölderlin) ? Inversement, qu’en est-il du style dans le modernisme, avec son exigence dialectique de renouveau (make it new, Spring and all), sa tension féconde entre originalité et impersonnalité (ainsi chez Eliot et Pound) ? On pourra encore revenir sur la question de l’écriture blanche (refus ou modalité du style), qui communique avec celles de l’écriture féminine, comme avec les pensées du neutre jadis esquissées par Barthes ou par Blanchot. Dans un autre registre, on pourra aborder la question à partir des enjeux de la lecture et de la relecture : le style, n’est-ce pas ce qui frappe – ce qu’on reconnaît, certes, mais aussi ce qui dans le reconnaissable et le familier se révèle indéfiniment nouveau, étranger, défamiliarisant, bref un événement autant qu’une récurrence ?       

    Les propositions d’articles (350 mots environ) sont à envoyer à Laurent Folliot lfolliot79@gmail.com et Juliana Lopoukhine j_lopoukhine@yahoo.fr avant le 30 juin 2024. Les articles sont attendus pour le 15 novembre 2024.

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  • Variations pronominales

    2024-02-15
    Pour son numéro 16.1, à paraître en décembre 2024, la revue en ligne L’Atelier (https://ojs.parisnanterre.fr/index.php/latelier/index) lance un appel à contributions sur le thème « Variations pronominales ». Ce numéro sera coordonné par Sandrine Sorlin, que la revue accueille comme rédactrice invitée, et par Pascale Tollance. 

    Ce numéro de L’Atelier se propose d’examiner les enjeux – anciens et nouveaux – qu’induit le choix du pronom dans le récit et, plus largement, au sein de la création littéraire. Kafka, selon Maurice Blanchot, est un de ceux qui « nous apprend que raconter met en jeu le neutre », neutre porté par un « “il” incaractérisable », « une troisième personne qui n’est pas une troisième personne » ou encore un autre « qui n’est ni l’un ni l’autre ». En même temps qu’il suspend le rapport au référent, le récit instaure une indétermination qui concerne aussi bien la voix narrative que les sujets qu’il fait exister ; il ouvre un espace où la référence pronominale se voit livrée à une instabilité fondamentale. Le choix du pronom se dote d’un pouvoir proprement poétique à travers lequel peuvent s’explorer différentes postures subjectives et intersubjectives mais qui relève aussi de ce que Blanchot nomme « l’événement inéclairé de ce qui a lieu lorsqu’on raconte ».

    On pourra s’intéresser à la dissociation entre forme pronominale et fonction pragmatique dans les récits jouant sur une ambiguïté référentielle : le même pronom peut renvoyer à deux entités distinctes ou inversement une même entité pourra se désigner par deux pronoms différents. A quoi ces glissements pronominaux œuvrent-ils ? A quelles fins la déconnection entre forme grammaticale et forme notionnelle peut-elle être exploitée ? La disjonction pronominale peut, sur un mode mimétique, se mettre au service d’un trouble ou d’une défaillance psychique, d’un traumatisme, d’une schize. Le passage de la première personne à la deuxième ou à la troisième personne peut dramatiser un sentiment d’étrangeté ou un phénomène de dissociation et perturber ce faisant les catégories narratives traditionnelles. Reste à envisager en quoi le choix de faire le récit à telle ou telle « personne » dépasse la question de la personne, de l’identité ou de l’identification, notamment dans les récits qui troublent ou mettent à mal l’illusion référentielle.

    Si la fiction du XIXème siècle a accordé une prééminence à la voix narrative d’une instance omnisciente (qu’elle passe par le discours narrativisé ou le style indirect libre), celle-ci se voit détrônée au XXème siècle, notamment dans les récits au présent où la voix des personnages se trouve de moins en moins « absorbée » par une voix narrative surplombante (Marnette 2005) et où le récit est directement assumé par le personnage. Au XXIème siècle, la multiplication des récits à la deuxième personne ne marquerait-elle pas pour sa part un déplacement d’accent du personnage au lecteur/à la lectrice – sollicité.e et interpellé.e d’une façon tout à fait nouvelle ? Aux côtés d’un récit devenu orphelin ou semblant échapper au contrôle d’une origine unique et centralisatrice, force est de constater qu’on a pu assister à la réapparition d’une posture auctoriale interventionniste. Comment comprendre ce retour à une forme d’autorité ?

    Comment lire plus largement l’émergence du tu/vous dans le récit par rapport à l’utilisation traditionnelle de la première ou de la troisième personne ? Et que dire du nous, du ils/elles, iels ou de toute forme tentant de neutraliser le binarisme de genre ? Le choix du pronom est à considérer aussi à la lumière d’exigences collectives, d’évolutions et de crises propres à une époque. Les pronoms sont des vecteurs idéologiques et politiques. Le développement tentaculaire des réseaux sociaux et de leur recours à un tu/vous qui peut donner l’impression de « connecter » les individus plus rapidement et plus facilement influence-t-il le récit de fiction ? L’utilisation du tu/vous ou du nous semble dans d’autres cas relever d’une exigence éthique, notamment dans le roman postcolonial ou dans les récits faisant entendre des voix minoritaires. Quel rôle joue le pronom face à un double impératif qui consiste à faire parler l’autre et, néanmoins, à ne pas parler à sa place ?  Comment le pronom se trouve-t-il mobilisé pour toucher, interpeller ou réveiller de leur sommeil lecteurs et lectrices ?

    On pourra s’attacher plus particulièrement aux formes plurielles du pronom. Il est à noter que nous n’est pas le pluriel de je de la même façon que ils ou elles sont le pluriel de il/elle.  De quelle manière nous met-il en jeu le collectif ou le commun par opposition, ou au contraire en lien avec l’individuel ou le singulier ? Si l’utilisation du nous peut relever d’une tentative d’exclusion (un « nous » contre « eux »), on peut y voir à l’inverse un geste d’ouverture (Macé 2017), une hospitalité à l’autre ou une volonté de penser un « être singulier pluriel » (Nancy 1996). On pourra réfléchir au rôle de ce nous dans les récits qui, comme la fiction climatique, se mettent au service de la cause environnementale, qui pensent ou repensent l’Anthropocène : comment les entités non-humaines se désignent-elles dans ces textes ? Quel est le « potentiel environnemental » des récits qui recourent au tu ou au nous (James 2022) ? Les pronoms ont-ils le pouvoir de transformer le regard anthropocentrique (Caracciolo 2020) et de remettre en cause toute vision autonome et séparée de l’humain par rapport à son environnement ?

    Les articles (30 000-55 000 caractères) pourront être rédigés en français ou en anglais. Les propositions détaillées (300-500 mots) sont à envoyer à Sandrine Sorlin (sandrine.sorlin@univ-montp3.fr) et Pascale Tollance (pascale.tollance@univ-lyon2.fr) pour le 15 janvier 2024. Les articles sont attendus pour le 15 avril 2024.  Lire plus à propos de Variations pronominales